TABLE RONDE – Nouvelles Frontières : les grands axes à explorer pour imaginer l’hôpital du futur

Dans le cadre de l’Union des Architectes pour la Santé (UAFS), une commission de réflexion a été constituée autour d’un sujet majeur : redéfinir les nouvelles frontières hospitalières. Ce premier atelier a rassemblé des figures clés de l’architecture en santé et des experts de l’hôpital, tels que Matthieu Cabannes, Olivier Contré, Gérard Huet, Pierre Nassif, Anne-Marie Piquet, Daniel Pardo et Céline Poix. Leurs perspectives variées ont enrichi la discussion, centrée sur les grands axes à explorer pour imaginer l’hôpital du futur.
Aujourd’hui nous avons dessiné les premières pistes de réflexion. Trois grands facteurs sont ressortis, formant le socle de la discussion :

Le Facteur H – Le Facteur Humain
L’enjeu de l’augmentation du personnel soignant est une question centrale. Depuis la suppression du numerus clausus en 2019, remplacé par le numerus apertus, la projection d’une augmentation de la démographie médicale d’ici 2030-2040 est posée. Cependant, des questions demeurent : cet afflux de nouveaux professionnels répondra-t-il aux besoins dans les zones les plus sous-dotées ? Quelles infrastructures de proximité seront prêtes à les accueillir ? Et surtout, cette croissance se conjugue-t-elle avec l’essor du numérique en santé ?
Le manque d’attractivité des hôpitaux publics est également pointé : conditions de travail
difficiles, rémunérations insuBisantes et taux de turn-over élevés, notamment chez les infirmiers. La croissance des effectifs doit donc s’accompagner d’une réflexion sur l’amélioration des conditions de travail pour refidéliser les professionnels de santé. Comment l’architecture peut-elle répondre à ce défi ? Est-ce seulement une question de qualité de vie au travail ?

Le Facteur I – L’Intelligence Artificielle et les Nouvelles Technologies
L’IA et les nouvelles technologies sont en pleine expansion dans le secteur de la santé. De l’aide à la décision médicale à l’organisation des soins, ces innovations bouleversent le quotidien des soignants et redéfinissent la relation patient-médecin. Dominique Pon, ancien responsable de la délégation ministérielle du numérique en santé, rappelle que si le numérique transforme les pratiques, il repositionne également le personnel vers un accompagnement plus humain. La crainte d’une déshumanisation de la médecine n’est donc pas justifiée, mais une vigilance est nécessaire face à une possible technicisation excessive. L’émergence d’auto-diagnostiques, le développement de plateformes de suivi de patients à distance et les interfaces numériques rendent le patient plus autonome dans son parcours de soins. Ce phénomène pose la question d’une décentralisation progressive des fonctions hospitalières, et donc d’une redéfinition de l’espace hospitalier. L’hôpital deviendra-t-il un lieu plus diffus, avec des fonctions réparties sur le territoire ? Comment ces transformations vont-elles influencer les constructions hospitalières, à l’heure où la flexibilité et la réversibilité architecturale semblent primordiales ?

Le Facteur T – Le Territoire
L’accessibilité aux services d’urgences reste un enjeu majeur. En France, 50 % du territoire est encore à plus de 30 minutes d’un service d’urgences, une inégalité qui touche particulièrement les zones rurales et peu attractives. Le manque d’infrastructures de proximité et de médecins aggrave cette fracture territoriale. Bien que les réformes récentes permettent aux étudiants de médecine de réaliser des stages « hors les murs » en dehors des grands centres hospitaliers, il reste à voir si cela suffira pour équilibrer la répartition des médecins sur le territoire.
Les structures hospitalières doivent également composer avec les contraintes territoriales. Le manque de foncier bien desservi, la difficulté d’accès aux transports publics pour certaines patientèles sans moyens de transport, et la centralisation des ressources dans les grands hôpitaux pèsent sur l’efficacité du système. Décentraliser certaines fonctions hospitalières, renforcer les maisons de santé pluridisciplinaires de plateaux techniques et développer de nouveaux modèles de soins de proximité pourrait limiter ces déplacements et alléger les urgences hospitalières.
Ces réflexions, nourries par les contributions des architectes, ingénieurs et experts présents lors de nos séances, esquissent les contours d’une médecine en mutation, où la technologie, l’humain et le territoire redéfiniront ensemble les frontières de l’hôpital de demain.